Tentative d'évasion à Blumenthal


         

 Témoignage de Camille Labrux, Mle 36839            




En décembre 1944, la direction du comité de résistance du camp avait envisagé une évasion collective. Après avoir étudié plusieurs possibilités, notre choix fut arrêté sur la réalisation d'un tunnel creusé en partant d'une baraque qui serait le plus proche possible du chemin de ronde.
Nous avons trouvé cette baraque, dont une chambre était occupée par deux camarades lyonnais et connus par le comité de résistance , comme deux résistants, courageux ; dont les noms étaient Georges Curial et Georges Courtine. Ces deux camarades étaient seuls à coucher la nuit dans cette chambre, les autres déportés qui partageaient cette chambre, étaient de[s] Russes qui travaillaient de nuit.
Le plan d'évasion fut proposé à nos deux camarades qui acceptèrent immédiatement. Après avoir bien étudié les lieux, il fut décidé de découper une trappe sous le lit d'un Russe, qui était le plus rapproché du chemin de ronde ; c'est le camarade G. Courtine qui, menuisier de son métier, se chargea de réaliser ce trapon ; ce travail fut réalisé avec une finesse incroyable, les Russes ne se sont jamais aperçu de rien durant les travaux.
Nous avons commencé les travaux de terrassement dans la deuxième quinzaine de janvier 1945, il y avait, entre le plancher de la baraque et le sol, entre 45 et 50 cm. de vide ; dans ce vide, il nous fallait pouvoir pousser 6 à 7 mètres cubes de terre , afin de réaliser notre souterrain de 8 à 9 mètres de long.
Il nous fallait également des matériaux, du bois pour le boisage, et des outils spéciaux que nous avons réalisés à l'usine où nous étions employés ; nous avons mis à contribution quelques camarades Résistants pour l'outillage, sans trop les mettre au courant de notre projet.
Pour la réalisation du souterrain, nous étions 6 camarades dont voici les noms : Georges Curial, Georges Courtine, Adrien Legeay, André Duroméa, moi-même Camille Labrux, et le docteur du camp Leherpeux ; ce dernier avait à charge de veiller aux indiscrétions possibles qui auraient pu se produire  dans le camp et devait aussi nous aider à récupérer du bois pour le boisage.
Pour l'outillage, les camarades que nous avions mis à contribution étaient deux cheminots résistants, Georges Ducroc et Marcel Jacques.
Vers la deuxième quinzaine du mois de mars, nous étions arrivés sous le chemin de ronde, mais avec beaucoup de difficultés, car nous manquions d'air dans le souterrain, qui avait atteint 7 mètres environ.
Fin mars et début avril, des pluies torrentielles s'abattirent sur le camp et ce fut le commencement des ennuis, début avril, ce fut la fin de notre entreprise, notre souterrain s'effondra dans le chemin de ronde.
Ce matin d'avril, nous étions à l'usine quand les SS sont venus, à grand fracas, chercher nos camarades Curial et Courtine ; ils venaient de découvrir le souterrain avec leurs chiens.
Nous avons su par Leherpeux ( docteur) que nos camarades, malgré les coups reçus, n'avaient rien dévoilé de l'organisation du camp et avaient pris la responsabilité du souterrain à leur compte.
Enfermés dans un cachot du camp, ils étaient condamnés à mort et nous nous attendions [à]ce qu'ils soient pendus au camp ; mais l'avance anglaise étant très rapide dans notre secteur, nos deux camarades furent sauvés et partirent avec nous en exode à travers l'Allemagne du Nord.


       

               Témoignage de Georges Curial (Mle 36847)                          
 


« …..  d'abord, il fallut s'éclairer, nous réussîmes à confectionner une lampe à carbure avec de vieilles boites, puis il fallut "boiser" notre tunnel, c'était un terrain de sable fin, bien sûr facile à creuser, nous eûmes recours à toutes sortes de matériaux pour ce boisage : vieilles caisses, planches de châlits, vieux sacs de ciment pour calfeutrer et même, un jour, je ne sais plus qui les trouva, des morceaux de journaux ayant contenu du poisson, à l'air libre ça ne sent pas bon, mais dans le tunnel c'était terrible….. »
« ….. chaque chambre disposait d'un grand tonneau pour que nous puissions "uriner" la nuit, tonneau que nous allions vider à la première heure le matin : ce fut notre moyen d'évacuation pour nos déblais,. Avec le recul du temps, tout peut paraître simple, et pourtant… »
« Et puis, cet effort physique supplémentaire chaque nuit, la tension nerveuse…
Malgré toutes nos précautions, ce fut le sable qui nous trahit, il avait plu toute la nuit et la matinée de ce jour là, de début avril 1945, je ne sais si c'est le passage de la sentinelle sur le chemin de ronde ou bien si cela s'est fait naturellement, mais il se fit un entonnoir, le sable "coula" entre les boisages, probablement mal calfeutrés, en tous cas la sentinelle donna l'alerte »
« ... On vint donc nous chercher à notre travail pour nous conduire sur le lieu de notre "crime", nos copains étaient toujours au garde-à-vous sur la place d'appel, sans bien comprendre ce qui arrivait.
Ni Georges Courtine ni moi ne nièrent, c'était tellement évident.
Nous eûmes droit d'abord à une distribution de 50 coups de "schlague" (câble électrique de 1 mètre et 30 mm de diamètre) ; à 25 coups, il y avait changement de Kapo pour qu'il soit plus "frais", celui de nous deux qui n'était pas "schlagué" devait compter les coups ; par humanisme nous avions eu la permission de serrer notre calot entre les dents. Après cette correction, le SS commandant nous fit un petit discours : nous étions des saboteurs, donc nous serions pendus ; malgré tout, il nous félicita, disant notamment : "Je ne pensais pas que des Français soient capables de faire cela."

Nous fumes dirigés auprès du tailleur qui nous donna à chacun un "rayé" neuf avec les poches cousues et de superbes ronds rouges dans le dos, sur la poitrine, les jambes......
......enfermés chacun dans une cellule du "Bunker". Nous attendions la décision du commandant du camp central. . Le lendemain c'est l'évacuation du Kommando, on vient nous chercher, des amis nous font changer d'habits.

Je me souviens bien et je ne l'oublierai jamais : ces 4 Grecs qui nous donnèrent chacun une pomme de terre cuite, pour ceux qui ont été en camp de concentration, ils savent ce que ce geste représente.
Nous étions à bout de force, je m'évanouis pendant le rassemblement de départ, mais tous nos camarades veillaient sur nous…
Toujours tous les deux, nous avons fait le trajet de Blumenthal à Neuengamme, puis de Neuengamme à Lübeck, dans le bateau, à fond de cale, nous étions encore tous les deux, c'est là que la Croix-Rouge nous récupéra pour nous rapatrier par la Suède.                 
                                    

Fait à Pusignan le 29/12/67.
Signature.

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